Les livres, lus dans mon enfance, les contes de fées d’Erben, de Bozena Nemcova, la bande dessinée Rychlé Sipy de Jaroslav Foglar.

Et la littérature qui m’a bercé dans mon adolescence, des livres des auteurs souvent lus en cachette: Franz Kafka, Milan Kundera, Vaclav Havel,

Jaroslav Hasek (Brave soldat Svejk), Bohumil Hrabal, Ludvik Vaculik «Sekyra», Karel Capek, Vera Linhartova
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Et Libuse Monikova: l’écrivaine tchèque qui vivait émigrée en Allemagne, décédée depuis plusieurs années. «La Nuit de Prague» est une histoire de retour, j’aurais aimé l’écrire moi-même. J’aime ce livre, en voici un petit extrait:




LA NUIT DE PRAGUE de Libuse Monikova
Traduit de l'allemand par Nicole Casanova
ouvrage traduit avec le concours du Centre National du Livre
HACHETTE Littératures

«Malovanka, Marijanka, Drinopol—la troisième station après la place Pohorelec, appelée autrefois «Monument natio- nal de littérature»; les noms changent vite depuis quelque temps. Le couvent de Strahov a été rendu aux Prémontrés, dans le cadre de la restitution, combien de temps les manus- crits du Musée national de littérature y seront encore conter- vés, on n'en sait rien. Le vieux toponyme de Pohorelec—lieu de l'incendie—est resté, en souvenir des feux qui embra- saient souvent ce faubourg du Hradcany. Je descends. Le 22 continue sa course, passe devant l'auberge «Au Marronnier», où fut fondé le Parti social-démocrate, puis prend la rue des Pionniers, avec le monastère le plus ancien de Bohême et l'église Sainte-Marguerite, en direction de Bilà Hora, la Montagne Blanche, qui vit l'anéantissement de la noblesse protes- tante de Bohême lors de la bataille de 162O. Terminus.

Après novembre 1989, la rue des Pionniers fut débaptisée et appelée Patockova, en mémoire du philosophe Jan Patocka, cofondateur de la Charte 77, qui mourut à soixante-dix ans d'une congestion cérébrale après onze heures d'interrogatoire ~par la StB *, la Sûreté de l'Etat. Pendant son enterrement au cimetière de Sainte-Marguerite, un hélicoptère de la police tournoyait en crépitant au-dessus du cortège funèbre, si bien que l'on ne pouvait pas entendre les orateurs. Tous ceux qui s'approchaient du cimetière étaient filmés, pour entrer il fallait montrer ses papiers, et on relevait les noms.
Je descends à Drinopol, dérivé sans doute de "drnopal", charbonnier; il y eut peut-être ici une meule à charbon de bois. Autrefois, je ne réfléchissais pas sur les noms, ils allaient de soi, et pourtant ils n'étaient pas toujours clairs; même l'obscurité était familière. A présent, je ne suis plus sûre d'aucun mot. Je traverse la rue, passe devant l'auberge du coin, et monte l'escalier abrupt qui mène à la colline de Strahov. Là-haut, les rues continuent à monter, plus tranquillement, la maison que je cherche est de mon côté, sur la pente raide. Je peux déjà la voir. Ne pas perdre d'altitude, ai-je appris quand je faisais de la varappe. Il y a longtemps que je ne suis plus venue dans cette région. J'avance, franchis la crête, les rues deviennent des chemins, étroits, enchevêtrés, finissent dans des vergers et des buissons où s'amassent les ordures apportées par le vent. Plastique, bouteilles jetées. Sur l'herbe d'un vert rouillé il y a du givre. Grilles. Quelques marches, verglacées, la rampe est casée, je me hisse en m'accrochant à l'herbe et aux broussailles, évitant les branches et les épines; je retrouve des trouées, de vieux raccourcis familiers—sentiers envahis de plantes folles, escaliers délabrés, chemins barrés, non sablés en hiver: aux risques et périls de l'usager. De qui donc, sinon.
J'arrive au stade. Il y a encore un autre chemin qui monte de la ville. Par le parc de Petrin sur la colline de St. Laurent. C’est là qu’aurait pu être la carrière abandonnée où Joseph K. a été exécuté; à présent le sol est nivelé, large pleine avec l’un des plus grands stades du monde, entouré de trois stades plus petits et d'autres terrains de sport. Le stade est sur le versant de la colline de Petrin qui tourne le dos à la ville, vers l'ouest, on ne peut pas le voir depuis le pont Charles; de là, on n'aperçoit que la tour-belvédère. Il est beau, ce chemin pano- ramique derrière la tour, avec en bas dans la vallée la Vltava, et les pentes et les vergers de Malà Strana.»



La poésie tchèque,
c’est Erben, c’est Karel Hynek Macha, le représentant le plus important du romantisme tchèque, Petr Bezruc, Jan Skacel, poète né en 1926 et qui a été interdit en 1968 jusqu’à 82. Il décède en 1989, quelques jours avant la Révolution de velours qui a changé le destin du pays...



Jan Skacel: Les îles
En mettant la nuit à l'envers contre notre désir contre notre blessure sous le ciel étoilé nous déshabillons le noir
Et même si le continent de notre espoir devait être submergé et que tout allait disparaître de même qu'un peu de vous ne désespérons guère
De la mer du temps après nous émergeront de nouvelles îles pour de nouveaux naufragés.