Odcházení (Departure) (extrait de l’hebdomadaire tchèque Respekt)



« Václav Havel est un phénomène culturel et politique sans précédent dans le pays. On pouvait donc s’attendre à ce que vienne le moment où les camps de ses admirateurs et de ses détracteurs se heurtent. Ceci dit, il est étonnant que cela arrive à l’occasion de la sortie de son premier film Odcházení », peut-on lire dans la dernière édition de l’hebdomadaire Respekt.

L’auteur de l’article intitulé « Dispute absurde autour du film Odcházení » estime que le débat houleux qui accompagne depuis plus d’une semaine dans les médias le film, ne saurait être qualifié autrement que d’absurde. Le terme que Havel lui-même a rendu en Tchéquie célèbre. Force est de constater qu’une grande partie des critiques et des commentaires qui d’ailleurs ne cessent de nourrir les pages des journaux et d’internet, ne sont pas très flatteuses à l’égard du film Odcházení. Václav Havel l’a tourné d’après sa dernière pièce de théâtre éponyme qui avait été montée sur plusieurs scènes de théâtre dans le pays et qui raconte l’histoire d’un chancellier en partenance.
Avec cette performance, à l’âge de 74 ans, l’ex-président de la république a voulu s’initier à un métier qu’il n’a jamais pu exercer dans le passé et dont il a depuis toujours rêvé : celui de réalisateur de film.
Est-ce vraiment un film ?, s’interrogent certains critiques tchèques, considérant que Havel a réalisé une « drôle de forme », dépourvue d’un bon scénario et d’une mise en scène de qualité. Médiocre, ennuyeux, attaque terroriste contre les spectateurs, parodies de mauvais goût... constatent d’autres journaux.

« Aucun autre cinéaste, y compris ceux qui sont vraiment nuls, n’a jamais été attaqué aussi brutalement et aussi frontalement par les médias », constate Respekt qui admet en même temps que ceux qui ont aimé le film et qui le défendent ne mâchent pas non plus leurs mots.

« L’art pervers de Václav Havel » est le titre d’une note publiée dans les pages du quotidien Lidové noviny par l’écrivain Jáchym Topol qui perçoit le film comme « une satire, un vaudeville, soutenu par d’excellentes performances des acteurs ». Il signale : « Dans son film, Václav Havel abat tous les tabous, en s’en prenant impitoyablement à la politique et aux hommes politiques, sa satire douloureuse et cruelle à l’égard des mécanismes de pouvoir n’a pas son pareil ».
Plus loin, il se demande pourquoi certains critiques du film font preuve d’un tel acharnement à l’égard du « démiurge », dont le simple nom arrive à les irriter. « Il est normal », écrit-il, « que le film plaise ou déplaise, pourquoi donc autant d’aigreur et de haine ? Je pense que depuis le fauvisme ou la tenue des expositions d’arts pervers, aucune œuvre artistique n’a jamais été aussi vigoureusement attaquée. Bon dieu, il n’est pas obligatoire d’aller voir ce film ».

Dans son feuilleton régulier paru dans l’édition de mardi du quotidien Lidové noviny, un autre écrivain tchèque très connu, Ludvík Vaculík, se penche également sur ce film. Il écrit entre autres :
« Concernant les avis à l’égard du film Odcházení, je considère que les plus stupides sont ceux qui essaient de l’évaluer d’un point de vue théorique et qui s’interrogent par exemple sur le fait de savoir s’il s’agit réellement d’un film... La qualité et l’importance d’une œuvre se mesure par son effet. Le film de Havel offre une ‘définition’ cruelle de la vie comme suit : vanité, tout est vanité... Si je lis un livre aussi cruel, je peux interrompre la lecture, mais pas possible dans une salle de cinéma. J’aurais aimé échapper à la douleur. Mais comment ? » Et de conclure en constatant : « Le film Odcházení a un désavantage : celui d’être signé par Havel ce qui ne peut qu’alourdir sa situation ».

Le quotidien Mlada Fronta Dnes a publié dans son édition de samedi dernier une réflexion de l’écrivain Pavel Kohout qui prend, lui aussi, la défense du film qui est à son sens « exactement ce que son auteur a voulu faire. Car le véritable créateur ne suit que ce critère là ». Il cite à ce propos les films L’année dernière à Marienbad et Hiroshima mon amour qui « à l’heure des séries télévisées imbéciles seraient indigestes mais qui ont pourtant marqué l’histoire du cinéma ».
Plus loin, il dit : « Odcházení, c’est un défi que Havel relève et adresse non seulement en tant qu’auteur à ses spectateurs ou à ses concurrents, mais aussi en tant que ‘homo politicus’ à l’ensemble de la société. Les petits pays ont besoin des grands messages qui seraient à même de les protéger de l’anéantissement... La devise ‘la Vérité et l’Amour doivent l’emporter sur le mensonge et la haine’ est celle qui va survivre. Ceux qui veulent la caricaturer donnent une mauvaise image d’eux-mêmes ».
L’hebdomadaire Respekt, déjà cité, conclut :
« Václav Havel peut bien sûr se moquer d’une telle situation et sourire d’une façon typiquement ‘havlienne’. Le monument que l’une des critiques attendait de ce film, il l’avait déjà bâti, il y a bien longtemps. Pourquoi son expérience cinématographique devrait-elle être une occasion d’en construire un nouveau ? "Odcházení" est une pièce sur une époque que le dramaturge n’arrive plus à comprendre, qui échappe à tout contrôle. Un drame sur la disparition de toutes les certitudes, sur ce que tout n’est finalement que farce. L’auteur a encore accentué ce côté farce dans son adaptation pour le grand écran. Apparemment, Václav Havel lui-même ne pouvait pas s’attendre à ce que la plus grande farce surgisse dès la sortie du film ».

Par ailleurs, Václav Havel ne semble pas déconcerté par les critiques. Il a dit : « J’ai fait ce film comme bon m’a semblé et suivant ce que je ressentais. En ce qui concerne son jugement ou sa classification, je les laisse aux critiques ».